Les idées reçues

 

De nombreuses idées reçues gravitent autour des violences conjugales. Ces idées reçues ont pour effet de les banaliser et de les rendre acceptables et normales. Elles dissuadent par ailleurs les personnes d’intervenir et empêchent les victimes de se reconnaître comme telles. Dans cet article, SaVoie de femme souhaite déconstruire ces préjugés pour amorcer une meilleure compréhension de ce que vivent les femmes victimes.

Aller au-delà des idées reçues, c’est lutter plus efficacement contre les violences conjugales.

 

Les violences conjugales sont le symptôme d’une culture patriarcale qui n’est pas l’apanage d’un milieu social en particulier. La domination de l’homme sur la femme, le besoin de pouvoir et de contrôle sur l’autre n’est pas dépendant des ressources financières ou de l’origine sociale. Les violences ont lieu dans tous les milieux sociaux, économiques et culturels, dans tous les contextes éducatifs et religieux et touchent autant les femmes vivant en milieu urbain qu’en milieu rural. Nos intervenantes sociales peuvent témoigner de cette hétérogénéité.

Cette idée reçue se nourrit, entre autres, d’une sous-déclaration des violences dans les milieux plus aisés, où des éléments liés à l’image, au statut, au confort matériel, à la honte, entrent en compte au moment de la dénonciation. « Ce sont des choses dont on ne parle pas », entend-t-on souvent. Par ailleurs, certaines femmes envisagent difficilement de demander l’aide d’assistantes sociales, dissuadées par les représentations qu’elles se font du public visé par les travailleur.se.s sociaux.ales.

Ce n’est donc pas parce qu’un couple mène une vie aisée qu’il est à l’abri des violences. Entretenir cette idée reçue est particulièrement dangereux dans la mesure où les femmes de milieux aisés ne se reconnaissent alors pas dans le profil de la « femme battue » et sortent difficilement de la violence.

 

Dès lors qu’il y a violence, cela devient l’affaire de tou-te-s et la justice doit protéger la victime.

Il faut faire la différence entre le conflit de couple et les violences conjugales. Le conflit de couple repose sur une égale liberté d’expression des deux conjoint.e.s et un enjeu de pouvoir sur la situation. Dans le cas de la violence conjugale, l’enjeu est en revanche celui du pouvoir sur l’autre. Vouloir contrôler et dominer l’autre est la limite entre conflit et violence.

Dans le conflit, l’altérité s’exprime. Dans un cas de violence au contraire, l’autre est nié dans sa qualité de sujet. L’emprise prend le pas sur le relationnel.

C’est toute la difficulté des violences conjugales : intervenant dans la sphère privée, elles ne doivent néanmoins pas y être abandonnées. Pour mettre fin à ces situations, il faut au contraire sortir du privé : en parler, dénoncer, demander de l’aide.

L’isolement rend la situation de la victime encore plus dangereuse et difficile à vivre.

Que peut-on faire ? Permettre à la victime de parler, de discuter, de mettre des mots sur ce qu’elle vit. Ne pas la juger et adopter une position d’écoute bienveillante. Lui proposer une aide matérielle, dont elle manque souvent, comme l’accompagner chez le médecin, au poste de police ou de gendarmerie ou chez un.e professionnel.le des violences conjugales. Lui proposer un accès à internet ou au téléphone. Lui parler du numéro « violences femmes info », le 3919, ou le 04-79-85-53-68 si elle réside en Savoie.

En intervenant dans une situation de violence conjugale, vous ne vous mêlez pas d’une affaire de couple. Vous sauvez une vie, au sens figuré comme au sens propre.

 

Les violences conjugales relèvent le plus souvent d’un besoin de contrôle et de domination dans le couple, qui n’apparaissent pas seulement le temps d’une fatigue passagère. Ces comportements finissent régulièrement par se reproduire. De plus, il ne s’agit souvent pas d’une perte de sang-froid mais au contraire d’une réaction sous contrôle et conscientisée.

Fatigue, colère, mauvaise humeur, jalousie… rien ne justifie la violence !

 

Une gifle au sein du couple, c’est de la violence. Blesser l’autre, ce n’est pas l’aimer.

Il n’y a pas de violence moins importante qu’une autre. La gifle, comme n’importe quel autre acte de violence physique, est un signe de mépris, de domination et d’insulte et ces sentiments ne s’effacent pas si facilement. Que la gifle soit le produit ou non d’une situation particulière, c’est de toute façon le symptôme d’un besoin de contrôle physique sur l’autre. Une gifle, c’est donc le début d’une série d’autres gifles, et donc d’un cycle de violence.

Les professionnel.le.s des violences conjugales sont tou.te.s d’accord sur ce point : il faut intervenir dès la première gifle.

 

Sans doute l’une des idées reçues les plus dangereuses.

De nombreux facteurs empêchent une femme de partir : la peur, la honte, la culpabilité, l’espoir que la situation change, la dépendance financière, les enfants, l’amour, l’intimidation etc.

Les femmes victimes de violences conjugales sont sous l’emprise de leur conjoint, c’est-à-dire que des stratagèmes sont adoptés pour annihiler toute forme d’individualité. Ainsi, il fait disparaître ce qui fait de la personne une personne à part entière. Ses goûts, ses aspirations, ses ami.e.s, sa famille, font systématiquement l’objet d’attaque.

La victime efface petit à petit sa personnalité afin de satisfaire les besoins de son conjoint et éviter les épisodes violents.

Elle peut également finir par renoncer à toute forme de bien-être personnel et plutôt privilégier son confort. Confort matériel, stabilité familiale, routine rassurante… Partir signifie y renoncer, car bien souvent c’est le conjoint qui tire toutes les ficelles financières et matérielles (prêts bancaires, assurance voiture, forfaits téléphoniques et internet, compte en banque à son nom…). La personne victime choisit donc de privilégier ses besoins vitaux (alimentation, logement) à son bien-être et son intégrité physique.

Cela demande beaucoup de courage, de travail sur soi et de préparation matérielle pour quitter un conjoint qui vous contrôle et vous intimide au quotidien.

N’oublions pas non plus qu’il s’agit du couple et d’une intimité que l’observateur extérieur serait malaisé de juger. Quitter la personne que l’on aime, même violente, n’est pas si facile : la dépendance affective, la peur de la solitude, les phases de « lune de miel » (excuses, cadeaux, promesses), rendent la décision de partir difficile.

N’oublions pas enfin et surtout que quitter un conjoint violent peut-être dangereux. De nombreux homicides ont lieu lorsque la femme est sur le point de ou vient de quitter son conjoint. Les menaces quotidiennes créent un climat terrifiant, suffisant pour dissuader de partir.

 

Toutes les études le prouvent : l’alcool ou la drogue ne sont pas la cause de la violence. Ces substances peuvent accentuer la violence mais n’en sont en aucun cas la cause. L’étude nationale de 2016 sur les morts violentes au sein du couple, réalisée par la délégation aux victimes pour le ministère de l’Intérieur, révèle ainsi que ces violences sont majoritairement commises sans présence d’addiction ou de substance altérant le discernement de l’auteur et de la victime (60,14% des cas).

 

Le parcours pour sortir du cycle de la violence est long. Il est souvent ponctué par des retours au domicile et c’est dans ces moments-là qu’il ne faut pas abandonner la victime et continuer à la soutenir dans ses démarches. Il faut lui laisser le temps de faire ses choix et éviter de l’infantiliser. Il s’agit de comprendre qu’elle est sous emprise et vit au rythme du cycle de la violence. Comprendre la mécanique du cycle de la violence permet d’expliquer certaines réactions a priori incohérentes de la part de la victime.

Le départ du domicile est toujours positif, car cela montre que la victime retrouve l’envie de s’éloigner de cette situation toxique.

N’oublions pas que lorsque la victime est partie, le conjoint ne reste pas inactif. Il utilise de nombreux moyens pour la faire revenir ; il peut la suivre, la menacer. C’est aussi pendant ces périodes que ce dernier promet de changer et place la victime en sauveuse en lui signifiant que sans son aide, son comportement ne pourra s’améliorer.

De plus, lorsque le couple a des enfants, ils peuvent devenir le médium par lequel le conjoint violent continue à exercer son emprise psychologique et matérielle.

 

Subir des violences conjugales ne signifie pas forcément recevoir des coups.

Plusieurs formes de violences existent, et souvent se combinent, sans que l’une ne soit moins grave qu’une autre. Ici encore, entretenir l’idée reçue selon laquelle la violence n’est que physique amène des femmes à ne pas se reconnaître comme victimes.

  • Violence verbale : insultes, menaces, doute sur soi, angoisses, peur, intimidation
  • Violence économique : privation de ressources, obligation à l’endettement, comptes bancaires et aides sociales au nom du conjoint… dépossédant les victimes de toute autonomie financière
  • Violence psychologique : harcèlement, dénigrement, jalousie, dévalorisation, humiliation
  • Violence machiste : bonne à tout faire, exigences vestimentaires et esthétiques
  • Violence matérielle : objets cassés
  • Isolement : privation de déplacement, de papiers, séquestration, séparation de la famille et des ami.e.s, interdiction de sortie (loisirs, vie sociale)
  • Violence sexuelle : la plus cachée. Viol conjugal, agression sexuelle, harcèlement, prostitution
  • Chantage aux enfants : papiers, menaces d’enlèvement, dénigrement de la mère
  • Violence numérique : harcèlement par SMS, messages Facebook ou autres applications smartphone (Snapchat, Instagram, What’sapp), piratage des comptes Facebook ou autre, surveillance et contrôle grâce à la géolocalisation des smartphones, diffusion de photos ou vidéo intimes/à caractère sexuel sans consentement ou d’informations privées

Les violences psychologiques et physiques sont intimement liées. S’il peut y avoir violence psychologique, verbale, sexuelle etc. sans violence physique, l’inverse n’est pas vrai : tous les auteurs de violences physiques établissent d’abord une emprise psychologique.

Par ailleurs, les violences psychologiques sont celles qui perdurent le plus longtemps, même après la séparation. N’ayant plus accès aux espaces privés qui lui permettaient d’être violent physiquement, l’auteur compense en maintenant une pression et une emprise psychologique à distance. Lorsqu’il y a des enfants, c’est le plus souvent à travers eux que cette pression se manifeste.

Les autres formes de violences que les violences physiques sont d’autant plus dangereuses qu’elles affectent durablement l’intégrité et la confiance en soi de la victime et qu’elles sont plus difficilement repérables et condamnables. De nombreux.ses professionnel.le.s sont encore mal formé.e.s sur la manière de les repérer et il est souvent difficile de les prouver : peu de procès sont gagnés.

 

Bien souvent, les auteurs de violences conjugales entretiennent en dehors de la sphère privée une image d’homme charmant, sociable et de bon père quand il y a des enfants. Soucieux de contrôler leur image et d’entretenir une apparence de contrôle de leur vie intime, il arrive souvent que l’entourage familial, les voisins, les ami.e.s ne soupçonnent pas les violences, sous couvert de « personnalités » : « monsieur est bout-en-train, madame est plutôt réservée ».

Nos intervenantes sociales retrouvent ce dédoublement comportemental dans beaucoup de situations à l’association. Cela rend la situation des femmes victimes encore plus difficile : « personne ne me croira, tout le monde l’aime » ; « il s’entend bien avec tout le monde, pour quoi je vais passer si je porte plainte ? ».

De plus, le conjoint a souvent isolé au fur et à mesure la victime de son entourage. Les ami.e.s et la famille du conjoint deviennent son unique réseau social. Leur parler des violences conjugales qu’elle subit devient délicat.

Quant au « bon père », on sait aujourd’hui que la violence conjugale a des conséquences dramatiques sur les enfants, dont on ne parle d’ailleurs plus comme des « enfants-témoins » mais comme des « enfants-victimes ». Certains enfants présentent les mêmes troubles de stress post-traumatiques que leur mère : insomnies, cauchemars, reviviscences,  troubles alimentaires, phobies, troubles du comportement… Les parents et le climat familial qu’ils créent sont les premiers modèles des enfants, desquels ils s’inspirent pour se construire.